La souffrance nous conduit bien au-delà de la mort, dans des couloirs étroits et labyrinthiques ; elle nous propulse comme le ventricule gauche fait avec le sang, violemment. A en perdre le pouls à en perdre le corps. D’ailleurs il n’entre pas le corps, la souffrance n’en veut pas. Lors de sa terrible aspiration, elle le rejette, la peau, les os et les entrailles…sur le brancard! Que reste-t-il alors de moi… Des yeux. Mais pas des yeux de corps, ceux-là ne pourraient voir ce qui se cache là, loin si loin du monde extérieur, si loin des blouses blanches et de cette pauvre forme en vrac sous un poly coton bleu pâle tout plein de liens qui n’enferment plus rien. Je suis passée ailleurs dans ces yeux qui voient tout. Passé le mur du son, le mur de Planck, les quatre dimensions, les cents, les trous de verre, le vortex de ma mère. J’entends que je crie pourtant. Qu’est-ce que ce foisonnement ? Et mes yeux qui voient tout pourquoi restent-ils clos ? La douleur peu à peu a desserré sa gueule et comme un Pinocchio à l’abri des fanons d’une immense baleine j’ai pu entrevoir la plaine au loin, la surface de l’eau éclairée par la lune et puis, j’ai débarqué, foulé l’herbe nouvelle.