On ne croit jamais qu’on va mourir !
Même si l’on voit dans le miroir
Se creuser chaque jour un peu plus
Sur nos joues les sillons de nos tombes
Même si le regard s’étourdit
Et si la main tachée se replie
On ne se voit pas au cimetière
L’idée de nous bouche relâchée
Exhalant de la cadavérine
Ça fait grincer les dents
Et ça fait rire jaune
Chassée, assommée et bâillonnée
Dans un coin sombre de notre esprit
L’idée disparaît où se déguise à souhait
L’habit est d’or et la lèvre est pourpre
Prête à embrasser une autre vie.
On ne croit jamais qu’on va mourir
Un jour, ce jour, bientôt ou plus tard
Peu importe à vrai dire, ça viendra.
Ça vient par un virus, un typhon
Ça vient par une guerre, un pépin
Mais ça vient.
Chez nous souvent moins jeunes qu’ailleurs
Chez nous souvent moins vite qu’ailleurs
Et nos vies protégées sont précieuses
Comme des courtisanes poudrées
Dans leurs écrins trop cousinés
Elles se racontent des histoires
D’une débilité magistrale
Qu’elles ressassent inlassablement
Jusqu’à la somnolence.
Oui, nos vies sont tellement précieuses
Que nous acceptons qu’elles soient mises
Sous clés.
Oui, nos vies sont tellement précieuses
Que nous acceptons que d’autres soient
Quelconques.
Bien sûr, nous acceptons d’écouter
Des promesses à dormir debout
Et de les applaudir.
Oui, parce que nos vies sont précieuses
Nous acceptons tous l’inacceptable.
Pourtant, si, gravée en lettre d’or
Sur l’écran mauve de nos pensées
Comme un souvenir enraciné
La mort à nos côtés se mouvait
Telle une ombre grise et bleue de Prusse,
Compagne que le soleil révèle,
Sans doute serions nous plus vaillants.
Tous les peuples qui l’ont à l’esprit
Tous les peuples qui l’ont à leur pied
Tellement grande au crépuscule
Ont la force et la vitalité
Que nous devrions tous envier.
Ils ont la faculté du courage
La faculté de la rébellion
Le goût de la vie, du sel, de l’eau
De l’essentiel.
Oui, Parce que nos vies sont précieuses
Nous avons oublié la vraie vie
Nous racontons à nos chérubins
De belles histoires pour qu’ils rêvent
De leur beauté ou de leur richesse
Adultes, ils chercheront l’esthétique
Adultes, ils chercheront le confort
Et auront toujours peur du méchant loup
Sur leur noir canapé Ikéa
Face à l’écran surdimensionné
Ils seraient presque satisfaits
Ils ronronnent bercés par la pub.
Face à la mer, a ses rouleaux verts
Ils ronronnent le corps au soleil
Alors que pas très loin, rien ne va.
Alors que tout près, juste à côté
Pour d’autres rien ne va
Pour celle qui tend la main
Pour ce travailleur en jaune
Pour ceux qui sont en orange
Pour ces salariés en blouse blanche
Pour tous les travailleurs du dimanche
Rien ne va mais personne ne bouge.
Statiques, le nez dans notre tache
Si ce n’est dans notre téléphone
Nous supportons toutes les pressions
Pressions sociales pressions du monde
En se racontant des histoires roses
Parce que nos vies sont précieuses ici
Pelotonnés dans nos canapés
Convaincus qu’on a bien mérité
De se payer un peu de plaisir
Honorablement ou pas, d’ailleurs
On se fout royalement des autres
Et on néglige l’humanité
Et on néglige le vivant
Pour acheter de l’inerte
Du vain, du pathétique
Des télés illimitées
Des maisons sanctuarisées
Des bateaux sans voyager
Et des voyages encadrés
Ou, on envie ceux qui s’en vont
Et plus ils s’en vont loin
Et plus on les envie
Pourtant est-ce qu’on jalouse ceux
Qui partent à l’autre bout de la terre
Fuyant famine guerre et ténèbres ?
Ah non, ce ne sont pas des croisières !
Ils chevauchent les mers et leurs bosses
Sombres. Ils chevauchent les rouleaux
Verts comme des surfeurs intemporels.
C’est vrai que nos vies sont précieuses
Mais tel le corail elles pâlissent
C’est l’inquiétude qui nous pollue
Qui nous retire tout notre rouge
Toute notre puissance vitale
Celle qui pousse les hommes à gravir
Des montagnes, à les affronter
A chanter avec elle d’une même voix
La liberté, à s’égosiller
Jusqu’à entendre l’écho profond
Crépiter sur toutes les montagnes
De tous les continents.
Parce que notre vie est précieuse
Certains incontentés la défit
Afin de lui redonner couleur
D’autres beaucoup trop frustrés l’écourte.
Il faut écouter battre nos tempes
Echu le temps de l’insignifiant !
Ne bradons pas notre longévité
Contre une histoire classée sans suite
Une histoire abracadabrantesque
Qu’aucun éditeur, s’il est honnête
Ne saurait adresser aux lecteurs.
Les pendules ne marquent plus l’heure
D’un réveil sûrement salvateur.
Chacun d’entre nous dans sa cellule
Entrepose son miel frelaté
Sans s’inquiéter du sort de l’autre
Et de la ruche toute entière.
On ne croit jamais qu’on va mourir
Même si l’on voit dans le miroir
Nos gueules masquées.
Même si plus loin dans le miroir
Des drones des bombes des couteaux
Des grêlons, du feu, des toits qui volent
Des miradors et des implants TIC
Nous menacent
On reste très poli à l’abri.