Trois jours après qu’on nous ait lâché, moi, je ne pouvais plus guère marcher.
J’avais pris mes cliques et mes claques histoire de fuir le fameux virus.
Car cet animal, figurez-vous, nichait sans qu’on l’y ait convié dans mon salon.
Il était plus exactement pile poil sur l’écran de mon téléviseur et aussi
Sur celui de mon ordinateur.
Et donc, tous les jours durant plus d’un mois, J’ai dépassé les bornes.
C’est un genou qui a cédé.
Mais je ne regrette pas ces délicieuses ballades en solitaire dans mon quartier et au-delà.
Chaque rue porte un mystère.
Son nom déjà.
Rares sont les individus inscrits dans les petits carrés bleus sur la façade, haut, au 1er de la rue, que nous connaissant, il faut bien l’avouer et puis les noms communs cachent aussi une vieille histoire.
Son aboutissement enfin.
Entre les deux c’est l’Amérique ou le désert.
Entre le deux, il y a l’ambiance, les ombres bienveillantes ou menaçantes.
Il y a les odeurs, celle de poubelles, de pipis, de nourritures et de poussières portées par le vent, celle du bitume, de la sueur, celle de la fleur d’oranger, celle des jardins, du chèvrefeuille lourde et entêtante. Celle des pissenlits et des coquelicots dans l’angle d’un escalier où une poignée de terre a trouvé refuge.
Il y a les couleurs parfois vives des maisons basses et celles livides et innommables des immeubles, celles des vieux scooters d’un vert émeraude pâle ou d’un rouge grenat qui ne bougent plus, celles des balcons fleuris, celles des graffs énigmatiques, politiques, simples ou pleins de sujets.
Il y a les formes, celles géométriques des entrées de cours, de garages celles des panneaux de signalisation, des potelets métalliques contre lesquels on peste en temps ordinaire. Il y a les formes des balcons sur le côté tels des tiroirs à commode, les formes moulées des porches avec leurs petits anges ou leurs fleurs de lys, leurs écussons, leurs fortes têtes, leurs céramiques finement peintes.
Les rues sont toutes particulières quand on flâne, qu’on est attentif au détail.
On fait souvent de belles rencontres.
Là un graff d’un chef grenouille (hard-times) plus loin une affiche en hommage à Diouf , là un grand banc rouge, ici un énorme cactus, là une fenêtres capitonnée, là un chat noirs aux yeux jaunes sous une échelle ou encore des pigeons au dessins si graphiques avec des dégradés si délicats qu’on est jaloux de cet artiste, des lilas d’Espagne entre des tessons de bouteilles sur un mur qui chatouille le ciel.
Oui, et ce n’est pas tout…
Mais voilà, aux oiseaux, aux souffles des joggers, aux silences toutefois relatifs des villes se sont ajoutés, soudain, le bruit des moteurs des voitures, des marteaux piqueurs, des gens qui ont accéléré leurs pas et aiguisés leur voix surtout les enfants qui ont repris l’école.
J’ai pourtant peu marché depuis qu’on peut, que c’est permis, mais je vous jure que j’ai senti la différence ! Et si le bruit est revenu, cette odeur de gaz d’échappement avec la température qui monte m’a rappelé des temps anciens et je m’en suis voulu d’avoir jeté le masque qui m’avait servi pour aller faire les courses.
C’était si bien le monde d’avant pour les piétons !
Aujourd’hui, c’est une certitude après le virus, gardons les masques. Protégeons-nous des particules fines et autres polluants comme l’oxyde d’azote des paquebots qui font mourir prématurément.
Gardons les masques et descendons dans la rue.